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La soumission à l’autorité

Pourquoi un tyran réussit-il à imposer sa cruauté à tout un peuple ? Étienne de la Boétie (1530-1563), traducteur de Plutarque et de Cicéron, ami de Montaigne, est resté dans l’histoire pour avoir écrit le Discours de la servitude volontaire (1548). Il y affirmait que la tyrannie ne peut exister sans l’assentiment du peuple. Le tyran est en effet toujours seul face à des millions d’hommes et il suffirait que ceux-ci cessent d’obéir pour que la tyrannie disparaisse… 1

Après la seconde guerre mondiale, plusieurs sociologues et philosophes se sont questionnés sur les raisons qui avaient poussé tout un peuple à accepter le totalitarisme et la violence du gouvernement allemand du IIIe Reich.

Parmi eux, on peut citer Hannah Arendt qui consacra un livre au procès d’Adolf Eichmann, haut fonctionnaire nazi chargé de la logistique de la déportation des Juifs. Durant ces auditions entre 1960 et 1962, A. Eichmann n’a cessé de proclamer qu’il n’a fait « qu’exécuter les ordres ».

Au même moment, le psychologue Stanley Milgram se lance dans une étude sur l’obéissance et la soumission à l’autorité.

Son expérience bien connue met en scène un « élève », un « enseignant », et un « expérimentateur ».

Dans les faits, seul le comportement de l’enseignant est étudié. L’élève et l’expérimentateur sont tous deux complices de l’expérience.

L’enseignant doit tenter de faire apprendre par cœur des associations de mots à son élève par une méthode de renforcement et de répétition. Les bonnes réponses sont félicitées par un encouragement, et les mauvaises sont punies d’un choc électrique. Ce choc est de plus en plus violent au fur et à mesure des mauvaises réponses de l’élève.

L’élève, qui est complice de l’expérience, donne des mauvaises réponses, ce qui pousse l’enseignant à lui envoyer une décharge électrique. Pas d’inquiétude : il n’y a pas de vraie décharge et l’élève fait semblant de subir la douleur.

Arrive le moment où l’élève demande d’arrêter, où il exprime de l'empathie pour l’élève. L’enseignant se retourne alors vers l’expérimentateur, qui lui somme de continuer, assumant pleinement sa responsabilité d’expérimentateur.

L’enseignant officiellement « déchargé de sa responsabilité » continue l’expérience. Il n’est plus responsable, il n’est qu’un instrument au service de la science.

Lors de cette première expérience publiée en 1963, 25 personnes sur quarante ont infligé à leur élève une décharge indiquée comme « Attention, choc dangereux » … à trois reprises.

Cette expérience a été menée un très grand nombre de fois, en modifiant le contexte, la posture et la proximité de l’expérimentateur, la visibilité de l’élève, etc.

Les résultats sont affligeants. 2

Mais la bonne nouvelle est de constater qu’il ne faut pas grand-chose pour contrecarrer l’autorité de l’expérimentateur. En effet, si une quatrième personne intervient dans l’expérience pour s’opposer à sa poursuite, l’enseignant aura une échappatoire pour abandonner son rôle de « victime » collatérale et mettre fin à la domination de l’autorité.

  • 1

    Meyran Régis, « Autorité et soumission volontaire », dans : Régis Meyran éd., Les mécanismes de la Violence. États - Institutions - Individu. Auxerre, Éditions Sciences Humaines, « Synthèse », 2006, p. 272-274. DOI : 10.3917/sh.meyra.2006.01.0272. URL : https://www.cairn.info/---page-272.htm

  • 2

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Expérience_de_Milgram#Tableau_des_variantes