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La motivation

Il n’y a pas une semaine sans qu’un magazine spécialisé ne vienne exposer une théorie sur la motivation. Et à peu près tous les ans, ces magazines proposent une enquête exclusive sur les raisons qui nous animent au travail.

À cela, vous pouvez ajouter les enquêtes quotidiennes qui se retrouvent sur LinkedIn et nous posent LA question fatale : “qu'est-ce qui vous motive au travail ?”.

Il y a évidemment quelques variantes : “qu’est qui vous pousse à vous lever le matin ?” ou encore “qu’est-ce qui est le plus important dans votre travail ?”

Toutes ces questions ont un élément commun : les facteurs de la motivation.

Mais aucune de ces enquêtes n’a un quelconque intérêt. Aucun intérêt scientifique bien entendu, mais pas plus social ou même managérial. Dans la majorité des cas, les résultats sont contradictoires d’une enquête à l’autre.

Voici par exemple quatre enquêtes qui ont été réalisées dans ces dix dernières années :

  • en 2014, la sources de motivation était : le climat de travail positif à 42%, être reconnu.e à 42% et l’autonomie à 34% 1
  • en 2017, la motivation (à l’échelle européenne) était fonction de la rémunération à 42%, l’équilibre vie privée - vie professionnelle à 22%, et la relation avec les collègues à 21% 2
  • en 2019, c’est la vie sociale à 42%, travailler plus efficacement à 40% et faire partie d’une équipe à 39% 3
  • et en 2020 (avant la crise du CoVid), les facteurs de motivation sont : la rémunération à 60%, la satisfaction du travail bien fait à 37% et la reconnaissance de la valeur du travail à 30% 4

Que faut-il conclure de ces résultats ? Rien. Il est impossible de conclure quoi que ce soit. Aucun de ces résultats n’est exploitable car ils mélangent tous les facteurs de motivation comme s’ils avaient tous la même valeur, et comme s’ils touchaient tous à nos mêmes besoins.

Il est pourtant assez facile de distinguer nos désirs de nos besoins, nos envies et la nécessité.

Même si le plaisir du travail et l’ambiance avec les collègues sont très importants sur le niveau de motivation d’un employé, son salaire est et reste la raison première de son travail. Même les infirmières et les professeurs ont manifesté pour une réévaluation de leur salaire. Celles et ceux que l'on croyait à ce point engagés qu’ils pourraient travailler pour une bouchée de pain, ont aussi contesté le manque de reconnaissance salariale de leurs efforts.

Travailler est une activité sous contrainte. Pourquoi accepter ces contraintes sans une contrepartie équitable. Et cette première contrepartie est par essence et par la nature même du salariat : le salaire.

Ces enquêtes sont donc très amusantes, et servent à interpeller les managers sur le niveau de satisfaction de leurs équipes. Mais elles commettent deux erreurs :

  1. l’attribution faite de la cause
  2. les sources de la motivation

L’attribution causale de la motivation

En tant que salarié, répondant à une enquête de ce type, je vais avoir tendance à chercher des explications congruentes à ma motivation, en lien avec mon identité sociale et mon Ego. Il y a donc de fortes chances pour que je ne sois pas totalement rationnel dans ma réponse, mais bien influencé par le désir de justifier mon comportement … a posteriori !

Pour l’observateur ce qui est important, c’est le comportement, non la situation : il va comparer l’acteur avec d’autres personnes, peut-être lui-même ; il va donc être conduit à faire des attributions internes. L’acteur, au contraire, évalue son comportement par rapport à ses autres comportements : ce qui diffère alors, c’est la situation, qui devient de ce fait, prégnante à ses yeux. En définitive, un comportement perçu par l’observateur comme une conséquence de l’intention de l’acteur, sera envisagé par ce même acteur comme une réponse à la situation. 5

Pour éviter ce biais, il est utile de rappeler au participant de répondre de manière rationnelle et raisonnée. Le simple fait de lui rappeler qu’il peut être sujet à des biais crée une influence positive sur son mode de réflexion.

Les sources de la motivation

Nous ne sommes pas tous motivés à travailler pour les mêmes raisons. Plus encore, nous pouvons avoir chacun de nombreuses raisons de travailler.

Ces raisons répondent à des besoins et à des désirs qui nous sont propres, liés à notre tempérament, notre âge, notre éducation, mais aussi notre patrimoine, nos croyances, ou encore notre état mental.

Pour éviter de mélanger besoins, nécessité, désir et envie, il est indispensable de catégoriser les sources de motivation. L’ensemble de ces sources se répartissent en quatre catégories :

  1. La nécessité matérielle
    Nous travaillons, pour la plus grande partie d’entre nous, pour recevoir un salaire, pour “gagner notre vie” — avouez que cette expression est dramatique — et pour subvenir à nos besoins.
  2. L’identité sociale
    Nous avons besoin de reconnaissance sociale, et le travail, la profession, ou simplement le fait d’avoir un travail, participe à cette reconnaissance, cette appartenance, cette intégration.
  3. La volonté professionnelle
    Travailler, c’est aussi une occasion de se développer, de performer, de maîtriser. Le désir de maîtrise, et parfois de pouvoir, sont des éléments clés parmi les facteurs de motivation, même en dehors du travail.
  4. Le désir sociétal
    Donner du sens à son activité est une attente réelle et profonde exprimée par un grand nombre de travailleurs. Qu’il s’agisse d’une raison d’être dans un processus interne à l’entreprise, ou plus encore, un rôle dans la construction d’une société en accord avec les valeurs de l’employé.

Comme vous le constatez rapidement, il n’est pas possible de mettre au même niveau la nécessité matérielle avec le désir sociétal. Mélanger ces catégories dans un même questionnaire créé un sentiment de gêne plus ou moins conscient qui devra se résoudre par un « mensonge » assurant le maintien de notre identité sociale.

Si vous décidez de rédiger un questionnaire de satisfaction pour connaître le niveau de motivation de vos équipes, je vous conseille de bien distinguer ces quatre catégories. Cela permettra à chacun d’y répondre en toute honnêteté, sans crainte de toucher à des valeurs morales et moralisatrices.