Voilà. Nous avons fait un tour rapide de l’historique du travail, et principalement du travail-emploi et du salariat.
Nous avons une meilleure vision de la diversité et peut-être aussi une meilleure compréhension du ressenti que notre société a du travail. Est-elle différente de la vôtre ?
Cependant, si on considère que le travail se définit par un salaire, il faut bien constater que bon nombre d’activités laborieuses ne sont pas rémunérées.
L’entretien de la maison, l’éducation des enfants, le ménage, la préparation des repas, etc. Nos journées sont en réalité remplies d’activités qui peuvent être considérées comme du travail, mais qui ne sont pas reconnues comme tel par le code du travail.
La durée du travail effectif est le temps par lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à ses occupations personnelles (Code du travail (Ndlr : en France) L 312-1 )1
Face à ce travail salarié, le travail bénévole augmente sans cesse, et bien souvent sans que nous n’en soyons vraiment conscients. Nous apportons chaque jour notre collaboration à la pérennité économique des réseaux sociaux en y ajoutant de l’information personnelle. Et depuis peu, nous améliorons la productivité des grands magasins en scannant nous-même nos achats.
Savez-vous que la plupart des logiciels mis sur le marché utilisent le travail bénévole des utilisateurs pour finaliser leurs produits ? Des grandes entreprises mettent en vente des applications qui comportent des “bugs”, et profitent du retour des “early adopters" pour clôturer la séquence de tests.
Cela pourrait être normal pour des logiciels très complexes qui doivent subir des batteries de tests dans des contextes si divers que seul leur usage réel peut servir de plan de test. Mais cela n’empêche que les bugs remontés par les utilisateurs ne sont quasi jamais rétribués.
Plus encore, cette habitude s’est transformée en routine pour la majorité des entreprises du web. Des interfaces dites “transactionnelles” qui servent à la vente ou à la commande de produits, sont mises en ligne avec un nombre important de “bugs”. Et ce sont les utilisateurs qui, par leur mauvaise expérience d’utilisation, remontent les problèmes techniques. Ce sont alors des “tickets” qui viennent remplir un “backlog” de corrections plus ou moins urgentes.
L’évidence des problèmes que l’on peut rencontrer avec ces interfaces est tellement élémentaire qu’il y a de quoi se demander si le travail de test a été correctement réalisé ou si la délégation vers la clientèle est devenue la norme.
Et cette situation ne s’arrête pas là.
Il y a deux ou trois ans, une société de service bancaire m’a contacté pour me proposer un terminal de paiement par carte. Il s’agissait d’un petit boîtier qui se connecte au téléphone et peut recevoir des paiements en temps réel.
Le service avait un coût de 30 euros par mois pour le boîtier, et il fallait compter 50 euros pour profiter du service de support téléphonique.
Étonnant. Pourquoi dois-je payer plus cher pour du support téléphonique ? Le boîtier a-t-il des défauts ? Dois-je m’attendre à des dysfonctionnements ?
Eh bien oui. Ce service payant était bien lié au fait que le boîtier pouvait rencontrer des problèmes. Et parce qu’il était “mal foutu”, je devais payer un supplément.
Nous en sommes donc arrivés à devoir payer pour accéder à un service qui va nous demander plus de travail. Nous devons payer plus pour travailler plus !
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On peut aussi remarquer que si le travail mérite salaire, tout salaire n’est pas mérité par un travail.
J’en veux pour preuve le temps de formation, les pauses café ou les pauses clope, et même les congés payés. Tout ce temps qui est rémunéré ne constitue pas directement un effort de production.
La question est alors de savoir ce qui peut être inclus dans le temps de travail, et considéré comme facteur profitable à la qualité du travail.
Mais là, vous pouvez me dire que l’on se moque bien de savoir si s’occuper de ses enfants ou préparer à manger doit être considéré comme un travail, puisque le sujet de ce livre est la motivation “en entreprise”.
Le problème est que l’entreprise a bien changé depuis quelques années. L’entreprise n’est plus un lieu géographique déterminé. Les nouvelles modalités du travail, les New Ways of Working, ont changé l’organisation de nos vies en mélangeant les zones privées avec les zones professionnelles. Le télétravail est entré dans nos mœurs, et il arrive aussi qu’un jeune parent emmène son nouveau-né sur son lieu de travail.
La manière de travailler d’un salarié ressemble de plus en plus à celle d’un indépendant.
Un autre changement fort est à noter dans l’organisation du travail : l’implication de plus en plus présente de consultants, d’intérimaires, de travailleurs indépendants ou lié à une coopérative, ou encore des représentants ou des experts internalisés. Comment faut-il traiter ces travailleurs qui ne répondent pas directement à l’autorité de l’entreprise ?
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Si l’organisation du travail est en pleine mutation, il est indispensable de s’accorder sur le contenu du travail qui est exigé par l’entreprise.
Le travail est une activité réalisée par un sujet pour satisfaire une commande d’autrui, explicite ou implicite, qui bénéficie de ses résultats et sans laquelle l’activité n’aurait pas été effectuée.2
[Le travail est] une activité consistant à mobiliser de l’énergie pour produire un bien ou délivrer des services et qui est contrainte par un cadre social et technique. 3
Pour ma part, et pour intégrer ce qui me semble être l’ensemble des activités qui ont une charge mentale propre au travail, je définirais l’activité travail comme suit :
<aside> 💡 Le travail est une activité sous contrainte.
</aside>
Une définition simple, et quelque peu radicale, et qui différencie clairement le travail du loisir, qui est par définition, une activité sans contrainte.4
Dès lors qu’une activité est réalisée dans un but précis, pour répondre à une demande, provenant d’une autre personne ou de l’individu lui-même, l’activité sera considérée comme contraignante.
Ainsi, le travail ne peut plus être défini par le salaire seule, ni même par l’état de subordination, ni par l’effort qu’il demande. Un employé répondant aux directives de son manager travaille, tout comme l’indépendant qui se forme à de nouvelles technologies, ou l’autoentrepreneur qui lance son activité, 12 heures par jour, sans rétribution directe, et en donnant l’impression de s’amuser comme jamais.
S’il y a contrainte, il y a travail. Et cela n’empêche en rien le plaisir de le faire.
- 1
LINHART, Danièle. L'insoutenable subordination des salariés (Sociologie clinique) (French Edition) . Eres.
- 2
Marty, Céline. Travailler moins pour vivre mieux - Guide pour une philosophie antiproductiviste : Guide pour une philosophie antiproductiviste (Hors Collection) (French Edition) Dunod.
- 3
Louche, Claude. Psychologie sociale des organisations - 4e éd. (Cursus) (French Edition) (p. 16). Armand Colin.
- 4
Dans ce cadre, les contraintes sont extrinsèques à l’activité elle-même. Comme le délai, la productivité, etc. Une contrainte intrinsèque serait par exemple de se salir lorsque l’on creuse un trou.